Journée d’études organisée à l’université de Caen le 2 avril 2025 par Sylvie Loignon.
Dans le cadre de la journée d’étude annuelle proposée par le LASLAR et consacrée à l’enseignement de la littérature dans le secondaire, nous nous sommes tournés cette année vers les œuvres contemporaines et de l’extrême contemporain en prose – qu’elles soient fictionnelles ou non fictionnelles. Si la production littéraire est marquée par le triple retour (du sujet, du réel, du récit) depuis le début des années 1980 comme l’a analysé Dominique Viart, la littérature de l’extrême contemporain propose un tressage plus serré avec un réel qu’il s’agit non pas seulement de représenter mais de questionner, et qui infléchit les formes du récit (récits de témoignage, d’enquête, factographies, récits post-exotiques et post-humanistes…). Les littératures contemporaines ne se laissent pas aisément manier – elles témoignent d’un foisonnement qui peut représenter un frein à leur enseignement. Ainsi, dans un récent ouvrage collectif, Anissa Belhadjin et Pierre-Louis Fort se demandent à juste titre : « la littérature contemporaine serait-elle un impensé didactique ? » Ils retiennent ainsi quatre questions liées à la scolarisation de la littérature contemporaine : le corpus, la délimitation de l’objet, les activités à mettre en place, les enjeux. Ce dernier point regroupe les enjeux non pas seulement littéraires et didactiques, mais aussi sociétaux.
C’est cette question des enjeux de cet « impensé didactique » qu’il nous a semblé pertinent d’interroger en effet. De tels enjeux ravivent le lien au réel et la transitivité de la littérature au présent, mais n’effacent pas les relations qu’elle tisse avec les littératures antérieures. Ce faisant, la scolarisation de la littérature contemporaine appelle un questionnement de sa valeur et une mise en perspective avec les textes patrimoniaux. Cette littérature au présent questionne, ce faisant, les inflexions de la « langue littéraire », depuis un certain classicisme jusqu’aux écritures plus expérimentales. Si la littérature contemporaine demande une contextualisation accrue, c’est qu’elle rend compte de l’inflexion des sensibilités lectrices, qu’elle interroge la réception d’un point de vue individuel (la question du trauma étroitement liée à l’émergence des récits de témoignage et des récits à teneur autobiographique) ou plus collectif. On peut alors se demander comment parler des œuvres contemporaines après #MeToo, comment lier l’enseignement de cette littérature contemporaine et la culture de l’effacement (cancel culture). Il semblait important d’interroger la façon dont on peut aujourd’hui enseigner les œuvres transgressives et modernistes – au regard d’une période marquée par la complexité, la tradition de la libre pensée à la française s’opposant à une forme de contrainte, de restriction, voire de censure venue des Etats-Unis et dont témoigne le trigger warning. Cet enjeu de la littérature contemporaine en prose semble également définir une posture voire un engagement de l’enseignant et de l’enseignant-chercheur. S’agit-il de prendre « le risque du contemporain » (D. Rabaté) ou de considérer l’enseignement de la littérature contemporaine comme un « hasard heureux » (L. Demanze) ? Cet enjeu sociétal de la littérature contemporaine ne permet-il pas, plus largement, de penser la notion même de « communauté » ?