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Les stratégies de destination large de la fiction narrative aux XVe et XVIe siècles

05 juin 2019 . 9h00 07 juin 2019 . 17h00

Lieu :

Caen · campus 1 · MRSH · Salle des Actes (SH027)

Caen,

S’il existe au Moyen Âge des œuvres pensées ou adaptées pour un public non savant, l’apparition de l’imprimerie fait naître au XVe siècle et développe au XVIe siècle l’idée d’une diffusion large possible des livres. Par corollaire les auteurs produisant des œuvres de fiction, réputées par nature plaisantes et accessibles au plus grand nombre, et les éditeurs de ces œuvres se mettent progressivement à inventer des stratégies de destination large. Au-delà du simple usage de l’imprimé et du choix du vulgaire quelles sont ces modalités de préparation des textes et des livres pour le grand public ? La question gagne à être posée du point de vue de la littérature et de l’histoire du livre (manuscrit compris) plutôt que de celui de l’histoire de la lecture et de la bibliophilie, comme cela a beaucoup été fait.

En marge du colloque, l’inauguration de l’exposition « Dans les pas du colporteur : la Bibliothèque bleue normande » (7 juin-30 septembre 2019) et une série de conférences autour de la Bibliothèque bleue de Normandie auront lieu à la Bibliothèque Alexis de Tocqueville de Caen le vendredi 7 juin.

La Bibliothèque bleue, qui fleurit en Normandie de la fin du XVIIe au XIXe siècle, vulgarise, comme elle l’a d’abord fait à Troyes, des manuels pratiques, des textes de piété et des fictions souvent composées à la fin du Moyen Âge et au XVIe siècle. Le large empan diachronique ainsi ouvert met en lumière un cas intéressant, très peu examiné jusqu’à présent, d’élargissement au plan local du lectorat d’œuvres pensées au départ pour un public restreint.

Comité d’organisation

Pascale Mounier (université de Caen, EA 4256 LASLAR)
Hélène Rabaey (université du Havre, EA 4314 GRIC)

Comité scientifique

Jean-Claude Arnould (université de Rouen, PU)
Pedro M. Catedra (université de Salamenca, professeur)
Silvia Fabrizio Costa (université de Caen, PU)
Laurence Mathey (Le Havre, PU)
Pascale Mounier
Hélène Rabaey
Marie-Claire Thomine (université Lille 3, PU)

Commissaires d’exposition

Sophie Biard (Caen, BM, responsable du pôle Patrimoine)
Anne-Bénédicte Levollant (Rouen, BM, Responsable du pôle Patrimoine, Directrice-adjointe)
Pascale Mounier

Argumentaire

S’il existe au Moyen Âge des œuvres pensées ou adaptées pour un public non savant, l’apparition de l’imprimerie fait naître au XVe siècle et développe au XVIe siècle l’idée d’une diffusion large possible des livres. Par corollaire les auteurs produisant des œuvres de fiction, réputées par nature plaisantes et accessibles au plus grand nombre, et les éditeurs de ces œuvres se mettent progressivement à inventer des stratégies de destination large. Au-delà du simple usage de l’imprimé et du choix du vulgaire quelles sont ces modalités de préparation des textes et des livres pour le grand public ? La question gagne à être posée du point de vue de la littérature et de l’histoire du livre (manuscrit compris) plutôt que de celui de l’histoire de la lecture et de la bibliophilie, comme cela a beaucoup été fait.

Elle engage en effet la réception programmée d’œuvres de fiction, non leur réception effective. Il s’agit de repérer dans telle ou telle œuvre ou tel ou tel ensemble d’œuvres un projet de vulgarisation ou de popularisation, c’est-à-dire de propagation ou diffusion auprès de tous. L’idée n’est donc pas de comprendre la notion de « littérature populaire » au sens socio-politique : les études d’histoire du livre et de la lecture ont trop longtemps postulé un lien entre tel ou tel choix de traduction ou d’illustration et l’éducation réputée limitée de certains groupes sociaux mais ont permis de mieux connaître l’identité des consommateurs réels des livres. Il s’agit de chercher des indices tangibles d’une volonté d’élargir le lectorat, pas forcément réductible au peuple donc, dans les œuvres elles-mêmes.

En termes de corpus l’enquête peut porter sur une ou plusieurs fictions produites, traduites ou diffusées en français des débuts de l’imprimerie à 1600 environ dans l’espace européen. Elle se concentrera sur des productions de type narratif, donc des œuvres qui offrent une représentation du monde par le biais d’un ou plusieurs narrateurs, de façon à ce que d’une étude à l’autre on arrive à brosser un tableau complet du champ considéré. Les romans, nouvelles, contes, fables et certains dialogues à dimension narrative s’avèrent en l’occurrence de deux sortes possibles selon la question envisagée : soit ils sont neufs soit ils sont plus ou moins anciens ou ont un original en langue étrangère et se trouvent mis pour la première fois sous presse en français. Pour les œuvres produites aux XVe et XVIe siècles les stratégies de destination sont à référer à l’auteur et à l’éditeur ; pour les autres elles le sont au traducteur ou à l’adaptateur et à nouveau à l’éditeur. Le phénomène de la réédition, qui introduit parfois des modifications substantielles, engage dans les deux cas toujours l’instance de l’éditeur avec ou sans celles de l’auteur, du traducteur et de l’adaptateur. Il est important de tenter de savoir à qui imputer telle ou telle stratégie, que l’on puisse ou non mettre un nom de personne sur la ou les instances en question.

En termes d’éléments de repérage nous proposons de mener l’enquête sur les stratégies de destination en couplant deux ensembles d’indices. Le premier est constitué par les éléments de conceptualisation que livrent les fictions. Le métadiscours produit par l’auteur, même anonyme, le traducteur, l’adaptateur ou l’éditeur révèle en effet à l’occasion un projet de destination large. Le second faisceau d’éléments à approcher concerne le contenu lui-même, d’un double point de vue textuel et matériel. Dans le premier cas on s’attache aux marques génériques et sous-génériques, à la conduite de l’histoire ou encore aux particularités linguistiques des œuvres. Dans le second on prend en compte la mise en page, la mise en chapitres ou encore l’illustration des éditions.
En termes de méthode nous souhaitons croiser l’approche littéraire à l’approche livresque. On pourra en particulier voir en quoi les mutations d’un texte au cours du temps engagent la création de divers lectorats, dont l’« identité culturelle » (Chartier, « Stratégies éditoriales et lectures populaires », in Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Le Seuil, 1987, p. 87-124 et ici p. 120) est ou non repérable. Le phénomène de la mise ou remise sous presse de fictions antiques ou médiévales à l’époque de l’imprimerie peut en effet s’accompagner d’une transformation vulgarisante ; celle-ci apparaît par confrontation de la ou des versions remaniées à la version originale, ce qui engage pour une traduction par exemple des choix linguistiques et de séquençage narratif en plus de ceux de mise en page. Quand la fiction étudiée est destinée à connaître des stratégies plus massivement popularisantes dans les siècles ultérieurs, par exemple en subissant un raccourcissement et une simplification drastiques, l’approche comparative est à nouveau susceptible de révéler les points communs et les différences entre les versions livrées au public. On pourra par exemple se demander pour certains textes si les adaptateurs et les gens du livre de la Renaissance préparent ou non les stratégies éditoriales à l’œuvre dans la Bibliothèque bleue, et le cas échéant s’interroger sur les spécificités de leurs propres stratégies.

Il faut ainsi tâcher de déterminer la nature des stratégies qui se combinent dans le fait de programmer une destination large pour une fiction précise ou un ensemble de fictions. On peut essayer de voir s’il existe des spécificités de ce point de vue selon le degré d’invention des œuvres, si tant est que la notion d’« originalité » ait un sens pour l’époque. La création d’une œuvre, soit ex nihilo soit à partir d’un matériau qui a déjà connu le succès (rédaction de suites d’un récit, adaptation d’un fait divers, etc.), implique par exemple éventuellement une sélection d’une matière plaisante, une organisation claire et un guidage de l’interprétation. L’altération d’une ou plusieurs œuvres déjà produites met en œuvre, semble-t-il, quant à elle des opérations similaires ; mais celles-ci se voient infléchies par le fait que la source ou l’original constitue un cadre contraignant. Pour rendre accessible l’œuvre choisie le traducteur, l’adaptateur ou l’éditeur peut se livrer à une réfection de passages difficiles, à une simplification de l’organisation narrative (calibrage de la longueur, aération et clarté de la mise en pages, découpage de la matière en chapitres, etc.) et à une explicitation du sens (paraphrase de passages, appui sur l’illustration, etc.). L’activité d’altération mobilise en outre des interventions propres, selon le degré de liberté que s’accorde l’instance qui la prend en charge. Les opérations de vulgarisation apparaissent donc similaires et distinctes à la fois d’un type de productions à un autre, ce qui reste à vérifier.

Pour information, deux expositions sont envisagées parallèlement au colloque. L’une aura lieu à la BM de Caen, où une des journées du colloque se déroulera et où une présentation et une visite en sera faite, et l’autre à l’automne 2019 à la BM de Rouen. Elles ouvriront l’étude à la réception postérieure d’œuvres spécifiquement conçues pour le grand public. La Bibliothèque bleue, qui fleurit en Normandie de la fin du XVIIe au XIXe siècle, vulgarise en effet, comme elle l’a d’abord fait à Troyes, des manuels pratiques, des textes de piété et des fictions souvent composées à la fin du Moyen Âge et au XVIe siècle. Le large empan diachronique ainsi ouvert met en lumière un cas intéressant, très peu examiné jusqu’à présent, d’élargissement au plan local du lectorat d’œuvres pensées au départ pour un public restreint.

Affiche Les stratégies de destination large de la fiction narrative aux XVe et XVIe siècles