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Écofictions, Anthropocène et création artistique : figurations, récits, discours

20 avril 2023 .17h0019h00

Responsable(s) scientifique(s) : Margarita REMON-RAILLARD / Anouck LINCK

La littérature environnementale a commencé son expansion dans la sphère occidentale dans les années 1970, dans le sillage du mouvement écologiste, dont la naissance emblématique est attribuée en partie au livre Silent Spring (1962) de la biologiste nord-américaine Rachel Carson. L’écologie est un sujet incontournable aujourd’hui. Le terme « écofiction », introduit en 1971 par John Stadler dans l’anthologie éponyme regroupant vingt nouvelles de différents auteurs anglophones (Bradbury, Steinbeck, Poe, Herbert…), désigne, dans son acception première, une histoire à portée écologique. Les thèmes récurrents, répertoriés par Stadler dans la préface, sont la surdité des hommes face à un péril dont ils sont pourtant avertis ; la catastrophe qui commence par des petites actions simples et contrôlables ; la solution qui peut naître également d’une action individuelle et simple, si l’on sort de l’oisiveté et la peur paralysante. En France, le terme a été repris en 2012 par Christian Chelebourg dans un sens plus restrictif pour désigner les productions hollywoodiennes et la littérature de science-fiction qui figurent l’imaginaire de la catastrophe véhiculé par les médias de masse, et dont les ressorts reposent en partie sur la peur, la culpabilisation et la jouissance du spectateur/lecteur. La part importante dévolue ces vingt dernières années à la thématique de la catastrophe environnementale dans les récits, le cinéma ou les séries, ratifie sur le plan des mentalités collectives notre entrée dans l’Anthropocène, aussi contesté ce concept soit-il.

Ces deux concepts – écofiction et Anthropocène – permettent de poser les jalons d’une réflexion pluridisciplinaire et transdisciplinaire, portant non seulement sur les représentations de la catastrophe ou de la fin du monde, mais aussi sur la recherche d’alternatives à de tels scénarios, fondées sur d’autres façons de concevoir notre rapport au monde et au reste du vivant.

Le concept d’Anthropocène implique une « prise de conscience essentielle pour comprendre ce qui nous arrive » (Bonneuil, Fressoz, 9-10) qui prend des formes (des figurations, des manifestations artistiques) très diverses. De plus, cette prise de conscience n’est pas intrinsèquement liée à notre contemporanéité ; elle s’insère dans une tradition historique et politique, ce qui rend l’approche diachronique très pertinente. Même s’il ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique, il a fini par devenir un point de ralliement entre disciplines diverses pour « penser ensemble cet âge dans lequel l’humanité est devenue une force géologique majeure » (Bonneuil, Fressoz, 19). Entre avertissements, spéculations et recherche d’alternatives, la question de la peur est également centrale. Il serait judicieux de s’interroger sur les notions de peur politique (qui ferait agir soi-même et/ou faire agir autrui) et la peur infra politique (liée à des structures mythiques, anthropologiques et perçue comme paralysante) et sur leur imbrication (ou pas) dans les récits, figurations ou discours. Cela soulève de nombreuses questions : s’agit-il d’une peur fabriquée, comment la peur a-t-elle muté à travers les temps, les citoyens sont-ils conditionnés par ces récits, ont-ils (ces récits) une fonction de propagande ? La représentation de la catastrophe a-t-elle de particularités régionales ou bien a-t-elle subi les effets de la mondialisation ?

La dimension dystopique, apocalyptique, sensationnaliste, ne saurait occulter la diversité des productions écofictionnelles, ni leurs potentialités réflexives. Si les plus diffusées et remarquées du grand public sont celles qui explorent les conséquences paroxystiques (destruction de la planète, extinction de l’humanité) des actions des hommes sur leur environnement naturel, il en est d’autres qui, plus radicalement, interrogent et déconstruisent l’ontologie naturaliste dans laquelle nous baignons, en Occident, depuis Descartes et Darwin. Dans ces écofictions, l’homme n’est plus la mesure de toute chose. En représentant l’agentivité et parfois la subjectivité du monde non humain (végétaux, animaux, fleuves, lieux, matière, esprits…) et en variant les échelles (microcosmes, macrocosmes, habitants d’autres planètes…), elles ouvrent une voie d’accès aux ontologies alternatives au naturalisme (animisme, totémisme, analogisme) mises en évidence par l’anthropologue Philippe Descola dans son essai Par-delà nature et culture (2005) et contribuent insensiblement à la diffusion d’un nouvel imaginaire de notre écosystème. Ces écofictions, par leur façon de figurer le décentrement de l’homme – en infligeant une blessure narcissique à portée initiatique – entrent aussi en résonance avec « l’hypothèse Gaïa » (1970) de James Lovelock vulgarisée depuis 2015 par Bruno Latour. Il s’agira d’explorer l’habileté, l’inventivité, la fécondité avec laquelle les auteurs d’écofictions intègrent les savoirs scientifiques, se nourrissent d’eux, et pas seulement à la manière caricaturale et dévoyée des grosses productions hollywoodiennes. L’écofiction abolit la traditionnelle frontière entre arts et science. Car vers ce champ littéraire convergent toutes sortes de contributeurs – éthologues, anthropologues, physiciens, biologistes, philosophes de la technique – alarmés par la problématique environnementale, qui sont en quête d’une expression émotionnelle et poétique.

Axes de réflexion possibles

Engagement et littérature

  • L’écofiction, un nouveau genre littéraire ? Diversité des formes génériques des fictions environnementales. L’écologie est-elle devenue la thématique majeure de la science-fiction contemporaine ?
  • Questions écologiques portées par la littérature, stratégies discursives de diffusion du message écologique.
  • Que peut la littérature pour le vivant ?
  • Comment l’attention portée à la problématique environnementale modifie les formes d’écriture contemporaines ou invite à revisiter certaines œuvres du passé.

Mises en récit de l’Anthropocène

  • Récits apocalyptiques ou post-apocalyptiques et leur bagage mythique ou ethno-religieux.
  • Climate fiction (ou cli-fi) et autres écritures de la peur.

Science et fiction

  • Modalités d’intégration des savoirs scientifiques dans les fictions environnementales. La fiction contribue-t-elle à faire « mieux » entendre le discours scientifique ?
  • Scientifiques auteurs d’écofictions. Stratégies, thématiques, formes d’écriture.
  • « Hypothèse Gaïa » revisitée par la littérature.

Diffusion d’un nouvel imaginaire de notre écosystème

  • Résonances du discours fictionnel avec les ontologies alternatives au naturalisme. Figurations du non humain.
  • Langue et écriture traversées par l’animalité, le végétal, le minéral. Agentivité et subjectivité des non humains dans le discours narratif. Décentrement de l’homme, changements d’échelle.

À la lumière de tout ce qui précède, le séminaire aura une vocation pluridisciplinaire. Il permettra une approche synchronique et diachronique depuis la littérature, le cinéma et d’autres arts visuels, les arts de la scène, les médias, etc., à travers des genres ou modalités divers – fantastique, science-fiction, thriller, réalisme magique, littérature de jeunesse, roman d’aventures, chroniques sociales, littérature « marron », littérature « verte », poésie, docu-fiction, performances, etc. – propres à différentes aires linguistiques.

Il aura également une vocation transdisciplinaire fondée sur un dialogue avec le discours de la science (les récits découlent de ses prédictions, modélisations, etc.), de la philosophie (philosophie de la technique, éthique environnementale), des sciences naturelles et des sciences sociales, de même que sur un emprunt maîtrisé des concepts en provenance de ces disciplines.

La première séance aura lieu le jeudi 13 avril à 17h dans la salle des thèses (SH 028) de la MRSH et sera l’occasion de présenter aux participants la thématique choisie et développer les axes ci-dessus. Nous espérons que le sujet vous inspirera et nous comptons vivement sur vos interventions. Si vous souhaitez proposer une intervention, vous pouvez nous contacter dès à présent pour que nous puissions faire une ébauche de calendrier.

Éléments bibliographiques

  • BONNEUIL, Christophe et FRESSOZ, Jean-Baptiste, L’événement anthropocène : la Terre, l’histoire et nous, Paris, Éditions Points, 2016.
  • BARATAY, Éric, Le point de vue animal, une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, 2012.
  • CARPENTIER, Laurent et LORIUS, Claude, Voyage dans l’Anthropocène. Cette nouvelle ère dont nous sommes les héros, Actes Sud, Arles, 2013.
  • CHASSAY J-F, Dérives de la fin. Sciences, corps&villes, Montréal : Le Quartanier, 2008.
  • CHELEBOURG CHRISTIAN, Écofictions & cli-fi: l’environnement dans les fictions de l’imaginaire, Nancy, Presses universitaires de Nancy – Éditions universitaires de Lorraine, (« Culture de jeunesse et culture de masse »), 2019.
  • CHELEBOURG, Christian, Les écofictions : mythologies de la fin du monde, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2012.
  • DESCOLA PHILIPPE, Par-delà nature et culture, Paris, Cairn, (« Folio Essais »), 2021.
  • DESCOLA PHILIPPE, Les formes du visible : une anthropologie de la figuration, Paris, Éditions du Seuil, 2021.
  • DESPRET Vinciane, Habiter en oiseau, Paris, Actes Sud, 2019.
  • DUPUY, Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Éditions du Seuil, 2004.
  • ELLUL, Jacques, Les nouveaux possédés, Paris, Fayard, 1973.
  • ELLUL, Jacques, Le système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977.
  • ENGÉLIBERT JEAN-PAUL, Fabuler la fin du monde : la puissance critique des fictions d’apocalypse, Paris, la Découverte, 2019.
  • FŒSSEL, Michaël, Après la fin du monde : critique de la raison apocalyptique, Paris, Éditions du Seuil, 2012.
  • Catherine COQUIO, Jean-Paul ENGELIBERT et Raphaëlle GUILDÉE (dirs), L’Apocalypse : une imagination politique, XIXe-XXIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018.
  • GERVAIS Bertrand, L’imaginaire de la fin : temps, mots et signes. Logiques de l’imaginaire III, Montréal, Le Quartanier, 2009.
  • HARAWAY, Donna, Manifeste des espèces compagnes. Chiens, humains et autres partenaires, Roubaix, Paris, Editions de l’Éclat, 2010 [2003].
  • KERMODE Frank, The Sense of an Ending. Studies in the Theory of Fiction with a New Epilogue, Oxford University Press, 2000.
  • LATOUR, Bruno, Nous n’avons jamais été modernes, essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1997.
  • LATOUR, Bruno, Face à Gaïa, Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015.
  • LESTEL, Dominique, Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion, 2001.
  • MARTIN Jean-Clet, Plurivers. Essai sur la fin du monde, Paris, PUF, 2010.
  • MINARD, Céline, Plasmas, Paris, Payot et Rivages, 2021.
  • MUSSET, Alain et LEHOUCQ, Roland, Le syndrome de Babylone : géofictions de l’Apocalypse, Paris, Armand Colin, 2012.
  • NANCY, Jean-Luc, L’équivalence des catastrophes (Après Fukushima), Paris, Éditions Galilée, (« La philosophie en effet »), 2012.
  • PUECH Michel, « Les catastrophes lentes », Le Portique (22), [en ligne], 2009.
  • REY, Olivier, Leurre et malheur du transhumanisme, Paris ; Perpignan, Desclée de Brouwer, 2018.
  • SCHWÄGERL, Christian, L’âge de l’Homme : construire le monde de demain à l’ère de l’Anthropocène, trad. Nicolas Vergnaud, Paris, Alternatives, 2012.
  • STADLER, John, Eco-fiction, New York, Washington Square Press, 1971.
  • WEBER Eugen Joseph, Apocalypses: Prophecies, cults and millenial beliefs through the ages, Cambridge University Press, 1999.

Détails

Date :
20 avril 2023
Heure :
17h00 – 19h00
Catégorie d’Évènement:

Lieu

Campus 1 · MRSH · salle des thèses · SH 028
Caen,